Un enjeu vital pour Israël, l’indispensable défense antimissile.

Publié le par Eli d'Ashdod

Un enjeu vital pour Israël, l’indispensable défense antimissile.

jeudi 13 mai 2010

Article de Uzi RUBIN Directeur du "Israel’s Missile Defense Organization"

Les missiles balistiques et les missiles de croisière occupent une place de plus en plus importante dans les conflits armés. Ils supplantent progressivement les avions de combat et tendent à rendre obsolètes les doctrines militaires et les politiques d’armement conventionnelles.

La Chine se dote d’un arsenal de plus en plus important de missiles anti-navires qui remettent en cause la domination de la marine américaine dans le Pacifique ; pendant la guerre du Liban, en 2006, le Hezbollah a lancé un très grand nombre de roquettes contre lesquelles aucune défense n’était possible ; la Russie a employé des missiles balistiques tactiques de haute précision pendant la courte campagne de Géorgie, à l’été 2008. Autant d’illustrations du poids croissant des missiles dans les affaires militaires contemporaines.

Cette nouvelle supériorité de la puissance de feu sur la manoeuvre modifie les équilibres militaires et stratégiques sans même avoir à recourir aux armes nucléaires. Pourtant, en raison de la progression imperceptible de ce phénomène, de la préoccupation traditionnelle des militaires pour les batailles de manoeuvres et de la crainte qu’inspirent les armes nucléaires au grand public, cette révolution militaire n’a pas été suffisamment prise en compte par les états-majors occidentaux.

Alors que les combattants non occidentaux - de Kaboul à Téhéran, Beyrouth ou Gaza - s’efforcent de contrer la puissance de feu aérienne de leurs adversaires en optant pour une puissance asymétrique (celle des roquettes et/ou des missiles), les doctrines militaires en vigueur en Occident continuent, elles, de voir dans l’aviation l’arme indispensable de première frappe. En fait, ces doctrines n’ont pas changé depuis l’âge d’or de l’aviation, pendant la Seconde Guerre mondiale. L’incapacité à percevoir le potentiel décisif des missiles et des roquettes est manifeste dans l’attitude occidentale à l’égard de la défense antimissile : les gouvernements occidentaux n’investissent dans ce genre de défense qu’avec la plus grande réticence. La politique hésitante des États-Unis sur le déploiement d’un système de défense antimissile en Europe illustre à merveille cet état d’esprit ambivalent.

Le constat vaut pour l’Occident en général et pour Israël en particulier. C’est très largement grâce à son aviation que l’État hébreu a livré et gagné les guerres de 1948, 1967 et, surtout, 1982. Avec le recul, on s’aperçoit que ce recours massif à l’aviation a eu deux conséquences : les vaincus se sont adaptés à la situation en développant des armes et des doctrines asymétriques afin de contrer la supériorité aérienne des vainqueurs... tandis que ces derniers sont demeurés obnubilés par leur puissance aérienne. Il n’y a là rien de neuf.

L’histoire militaire regorge d’exemples de vainqueurs agrippés obstinément à des armes et à des doctrines obsolètes, et de vaincus adoptant des mesures novatrices destinées à tirer les leçons de leurs échecs passés. Qu’on se remette en mémoire le Blitzkrieg employé par l’Allemagne en 1940 : cette doctrine avait été élaborée à la suite de la défaite de 1918. Pendant ce temps, la France ne changeait rien au système statique qui lui avait permis de remporter la victoire dans ce conflit. Ces deux attitudes illustrent la dynamique vainqueur-vaincu que nous venons d’évoquer.

La réticence d’Israël à répondre correctement à la menace balistique qui pèse sur son territoire est un cas d’école en la matière : le vainqueur se complaît dans le conservatisme tandis que le vaincu opte pour une innovation dynamique. Les autorités militaires israéliennes ont perçu le péril trop tard. Et malgré une aviation apparemment invincible, le territoire israélien se trouve désormais sous la menace directe des missiles et des roquettes détenus par l’Iran, la Syrie et les milices radicales du Liban et de Gaza. Résultat de cette tardive prise de conscience : le lancement d’une série de programmes de défense antimissile, programmes généralement défendus par les autorités politiques et contestés par les militaires. À l’heure actuelle, Israël est engagé dans pas moins de quatre programmes de défense antimissile - soit presque autant que les États-Unis, même si la dimension et le coût de ces programmes ne sont pas vraiment comparables. Après une longue hésitation, Israël a enfin pris la mesure du danger et s’est lancé dans des efforts fébriles visant à s’en protéger.

 

Les premiers jours : Arrow contre Scud

Les missiles balistiques sont apparus sur les champs de bataille du Moyen-Orient alors que la poussière des premières guerres israélo-arabes de 1948 et 1956 venait à peine de retomber. Au début des années 1960, Gamal Abdel Nasser engagea une équipe d’ingénieurs allemands qu’il chargea de développer deux types de missiles balistiques baptisés Al Zaafar et Al Kahira, dotés d’une portée de 600 kilomètres, donc capables de frapper n’importe quel point du territoire israélien à partir de leurs rampes de lancement situées dans la région du delta du Nil. Quand ce projet finit par échouer, l’Égypte acheta à l’URSS une grande quantité de missiles Scud B. Un certain nombre d’entre eux furent dirigés contre les troupes israéliennes pendant la guerre du Kippour, causant à Tsahal des pertes humaines et des dommages matériels. Durant cette même guerre, la Syrie a lancé de nombreuses roquettes de type FROG fournies par l’URSS sur les bases aériennes situées dans le nord d’Israël, ce qui provoqua de lourdes représailles israéliennes contre Damas. Cette première apparition des missiles et des roquettes sur les champs de bataille du Moyen-Orient dans le courant de la guerre de 1973 n’eut qu’un impact secondaire et fut rapidement oubliée.

Le tournant est intervenu en 1982, quand l’aviation israélienne détruisit les avions et les défenses anti-aériennes de la Syrie lors de la courte campagne qui ouvrit la première guerre du Liban. Hafez el-Assad, alors chef de l’État syrien et lui-même ancien pilote de l’armée de l’air, prit par la suite une décision mémorable : celle de ne pas rebâtir son aviation mais, plutôt, d’investir dans une immense flotte de missiles balistiques Scud B, destinés à remplacer l’armée de l’air. Il aurait alors dit : « La guerre précédente (celle de 1982) a été celle de l’aviation. La prochaine sera celle des missiles », une observation remarquable de prescience pour l’époque. Comme on pouvait s’y attendre, Israël, dans l’ivresse de sa victoire, ne prêta presque aucune attention à ces propos. La plupart des analystes israéliens interprétèrent la faiblesse de l’aviation syrienne comme le signe de l’infériorité perpétuelle de Damas. Cet aveuglement se paie aujourd’hui.

Pourtant, parmi les généraux, quelques-uns surent évaluer correctement la nouvelle direction prise par la politique syrienne et s’inquiétèrent de ses conséquences. Ces hommes lucides étaient conduits par Yitzhak Rabin, ministre de la Défense dans les années 1980, ainsi que par David Ivri, commandant victorieux de l’aviation israélienne pendant la première guerre du Liban en 1982. De plus, une nouvelle menace balistique était apparue, bien plus loin : en 1988, quand l’Irak de Saddam lança sur les principales villes iraniennes son nouveau missile Al Hussein, d’une portée de 600 kilomètres (une version du Scud B améliorée par les ingénieurs irakiens), les experts israéliens réalisèrent que ces mêmes missiles pouvaient tout aussi bien s’abattre sur Tel-Aviv en étant lancés depuis des bases irakiennes, ce qui allait d’ailleurs se produire lors de la guerre du Golfe en 1991.

C’est pourquoi, quand l’administration Reagan invita Israël à rejoindre son Initiative de défense stratégique, Rabin accepta avec empressement, dans l’espoir que cela lui permettrait d’obtenir, à terme, un système de défense encore indéfini à ce moment contre le danger que représentaient les missiles. Cet accord permettait à Israël de développer un intercepteur de missiles mais, refusant de reconnaître la menace asymétrique que représentaient les missiles syriens et irakiens, les généraux israéliens serrèrent les rangs pour s’opposer au projet. Quand Moshe Arens remplaça Yitzhak Rabin au poste de ministre de la Défense en 1990, il ne tint pas compte des objections des militaires, décida d’acheter auprès des États-Unis les tout récents missiles Patriot PAC 2 (qui possèdent une certaine capacité de défense antimissile) et autorisa le lancement à grande échelle du système de défense antimissile Arrow, conçu par Israel Aircraft Industries (IAI, aujourd’hui Israel Aerospace Industries). Même l’expérience tragique de la guerre du Golfe de 1991, pendant laquelle Israël se montra impuissant face aux missiles irakiens lancés sur Tel-Aviv, n’incita pas le haut commandement militaire israélien à changer d’avis sur ces questions. Il fallut tout le prestige et la forte personnalité d’Yitzhak Rabin, revenu au pouvoir en 1992 en tant que premier ministre et ministre de la Défense, pour surmonter les objections des militaires, soutenir la décision d’Arens et ordonner un développement à large échelle du système militaire Arrow, dont le coût serait partagé avec les États-Unis.

L’hostilité du haut commandement israélien était telle qu’il commença par refuser d’émettre un document opérationnel pour ce programme, qui devint une entreprise semi-publique relevant de l’IAI. Ce n’est que quelques années plus tard que l’aviation militaire israélienne, utilisatrice désignée de ce système, fut autorisée à constituer une unité opérationnelle de défense antimissile. Dès que le consensus fut acquis entre le haut commandement militaire et les civils du ministère israélien de la Défense, les progrès furent continus. Le système Arrow fut officiellement mis en service au sein du commandement de la défense anti-aérienne de l’armée de l’air israélienne en décembre 2000, près de neuf ans après le début de son développement à grande échelle.

Ce système consiste en un radar à balayage électronique de grandes dimensions, un centre de gestion de bataille et un missile intercepteur propulsé par un lanceur relativement simple. Le missile est équipé d’une tête infrarouge contenant une ogive puissante qui lance un rayon de fragments lourds sur la cible pour la détruire. La quantité de fragments lourds en tungstène suffit à réduire en morceaux n’importe quel type d’ogive ennemie, qu’elle soit nucléaire, chimique ou conventionnelle.

 

Arrow contre Shahab iraniens

Au moment où le programme Arrow fut lancé, la menace principale provenait de missiles irakiens d’une portée de 600 kilomètres. Mais quand, après la guerre du Golfe de 1991, la puissance balistique de l’Irak fut démantelée, une nouvelle menace du même type apparut. L’Iran qui, jusqu’à cette guerre, avait considéré l’Irak comme son ennemi le plus dangereux, se lança dans l’acquisition de missiles susceptibles de frapper aussi bien Israël que les bases américaines situées sur le territoire des pays arabes.

Ces missiles étaient disponibles en Corée du Nord, prête à les vendre sur le marché mondial pour des raisons économiques. Le missile qui intéressait Téhéran, baptisé « No Dong » par les agences de renseignement occidentales, était d’une portée 1,5 fois supérieure à celle du Scud B originel.

Certains observateurs occidentaux supposent que cette escalade a été entièrement assistée par les fabricants russes des missiles Scud initiaux, citant à ce propos le bureau d’études Makeev. Quoi qu’il en soit, quand les Iraniens se mirent en quête d’un missile capable de frapper Tel-Aviv, le No Dong, d’une portée de 1 200 kilomètres, était en vente, et les Nord-Coréens étaient prêts à ajuster sa portée pour qu’il corresponde aux besoins de leurs clients. L’accord fut conclu pour une version légèrement plus grande de ce missile, d’une portée de 1 300 kilomètres, qui devait être produite en Iran sous la désignation de « Shahab 3 ». Les premiers acheminements de kits complets destinés à être assemblés en Iran furent suivis par le transfert de lignes de production entières. Objectif : permettre à Téhéran de fabriquer entièrement ce missile sur place. Aujourd’hui, des versions plus avancées de ce missile, nommées « Kadir 1 » par les Iraniens, possèdent un système de guidage amélioré, un corps de rentrée plus performant et un fuselage en aluminium et non plus en acier, ce qui leur confère une portée significativement plus élevée (2 000 kilomètres d’après les déclarations des Iraniens, de 1 600 à 1 800 kilomètres selon des experts occidentaux indépendants).

Quand en 1993 les services de renseignement d’Israël et des autres pays occidentaux apprirent que l’Iran avait acquis le No Dong, le système Arrow fut rapidement adapté pour contrer la menace : les ingénieurs de l’IAI conclurent que l’on pouvait modifier le système Arrow en y apportant des changements légers, principalement au niveau du software. Dès que l’existence de Shahab 3 fut révélée au public, en juillet 1998, les États-Unis augmentèrent leur soutien financier pour permettre à Israël de produire davantage de radars et de missiles intercepteurs. Le gouvernement américain autorisa aussi la compagnie Boeing à installer une ligne de production d’Arrow sur le territoire des États-Unis, ce qui permit de doubler la production.

Le système Arrow fut testé à de nombreuses reprises contre des cibles de plus en plus sophistiquées, généralement avec succès. Aujourd’hui, ce système est sans cesse amélioré afin de suivre l’évolution des menaces balistiques iraniennes et syriennes.

Arrow contre des menaces iraniennes de plus en plus évoluées

La perspective d’un Iran nucléaire a bouleversé l’environnement de sécurité d’Israël et conféré à son programme de défense antimissile une urgence nouvelle. Israël répugne à lancer un débat public sur les questions nucléaires, sans même parler des mesures de rétorsion à prendre dans le cas où une puissance hostile comme l’Iran acquerrait cette l’arme. Si l’on en juge par les quelques éléments du débat interne au gouvernement qui ont filtré dans la presse, trois options ont été envisagées. Selon la première, le système de défense antimissile ne jouerait aucun rôle dans une éventuelle confrontation nucléaire future et devrait être abandonné. Une opinion diamétralement opposée appelait à renforcer le bouclier antimissile et à le rendre aussi imperméable que possible pour minimiser le risque. La troisième opinion considérait le bouclier antimissile comme une garantie supplémentaire de la préservation des moyens de rétorsion nucléaire d’Israël à une première frappe iranienne - en d’autres mots, comme un élément de la dissuasion israélienne.

Quoi qu’il en soit, la décision, annoncée en 2007, de renforcer le programme Arrow a clairement indiqué que la direction israélienne voyait dans la défense antimissile un élément clé de sa réponse globale à la nucléarisation de l’Iran. Le développement du programme Arrow inclut l’élaboration d’un nouveau missile intercepteur - le « Arrow 3 » - et l’amélioration des moyens d’alerte rapide et de détection de missiles, grâce à l’emploi de radars plus puissants et à l’addition de systèmes aériens de détection infrarouge. Ce bouclier antimissile amélioré est destiné à offrir à Israël une capacité de défense de très haut niveau, transformant l’architecture de défense israélienne, jusque-là composée d’une seule « couche », en une architecture composée de deux, voire trois niveaux.

La capacité d’interception exo-atmosphérique de l’Arrow 3, couplée à l’amélioration de ses capacités de détection, de reconnaissance et de contrôle du feu, est destinée à permettre le déclenchement du tir à vue (« Tirer - regarder - tirer » dans le jargon de la défense antiaérienne et antimissile), ce qui offre deux ou même trois chances de pulvériser le missile ennemi. Cette nouvelle architecture va garantir une haute probabilité d’abattre n’importe quel missile nucléaire. Elle permettra également de contrer des salves plus larges de missiles balistiques équipés de contremesures - bref, il s’agit d’une « guerre des étoiles » israélienne en miniature. Une guerre qu’Israël s’est engagé à livrer si tous les autres moyens échouaient.

À l’inverse de la controverse liée au programme Arrow originel, la décision de renforcer ce programme a fait l’objet d’un consensus au sein du haut commandement politique et militaire israélien. Cette différence marquée pourrait s’expliquer par la consternation des dirigeants israéliens en constatant la progression de l’Iran vers la possession de l’arme nucléaire, une perspective perçue comme susceptible de provoquer un nouvel Holocauste. Le programme fut lancé en 2008. L’objectif était de pouvoir tester l’intercepteur Arrow 3 au bout de trois ou quatre ans (à ce jour, aucun délai plus précis n’a été révélé). Parallèlement, les États-Unis ont déployé en Israël des radars de haute précision TPY 2 de manière semi-permanente. Une version plus puissante du radar Green Pine (une création israélienne) a été développée et testée, et les premiers tests d’un système de détection aérienne à infrarouge ont été prometteurs. Au même moment, les États-Unis ont augmenté leurs investissements dans le système terrestre SM3 et ont avancé à 2015 la date projetée de son déploiement. Reste à savoir lequel de ces deux systèmes remportera la course.

 

Lasers contre roquettes Katioucha

Pendant que les débats autour du système Arrow faisaient rage entre les dirigeants politiques et militaires israéliens, une nouvelle menace balistique devenait de plus en plus aiguë. Les premières roquettes ont frappé le territoire israélien quand l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a commencé à tirer des Katioucha (des roquettes non guidées soviétiques Grad de 122 millimètres) depuis ses bases situées en Jordanie. À la suite de son expulsion de Jordanie, l’OLP s’est établie au Liban et a repris ses attaques de roquettes à partir de ce pays. Des centaines d’obus furent tirés sur le nord d’Israël pendant la guerre du Kippour en 1973.

Quand l’OLP fut expulsée du Liban en 1982, sa place fut prise par le Hezbollah (un mouvement téléguidé par l’Iran) qui lança une offensive de harcèlement à coups de tirs de roquettes en 1985. Ces incessantes attaques de roquettes sur les villes et les villages du nord d’Israël ont précipité deux affrontements très rudes, survenus en 1992 et en 1996. En dépit de l’effort militaire déployé par Israël afin de mettre fin au feu adverse, l’intensité de celui-ci n’a cessé de croître. Les affrontements de 1996 ont vu un nombre record (pour l’époque) de 800 roquettes s’abattre sur le nord d’Israël en deux semaines. Si le nombre de victimes civiles resta peu élevé, les dommages matériels, l’impact économique et le coup porté au moral de la population furent considérables.

Jusqu’alors, la mise en place d’une défense active (c’est-à-dire basée sur l’interception des obus) face à de simples roquettes d’artillerie avait été jugée technologiquement improbable et financièrement prohibitive. Mais les roquettes de 1996 ont incité le ministère israélien de la Défense à proposer aux États-Unis de lancer un programme conjoint. Ce programme visait à élaborer un système reposant sur un laser de puissance, capable d’abattre les roquettes Katioucha.

L’arme envisagée était fondée sur une expérience datant de la guerre des étoiles. Un accord sur un développement conjoint fut conclu à l’été 1996 entre le premier ministre israélien Shimon Pérès et le président américain Bill Clinton. Ce programme, baptisé « Nautilus » par Israël et « Theatre High Energy Laser » (THEL) par l’armée américaine, était censé développer son premier système opérationnel en 18 mois. Un agenda optimiste qui fut rapidement remis en question par les difficultés de cette technologie radicalement novatrice, qui à l’époque semblait relever de la science-fiction. Même si des progrès significatifs furent réalisés et que de nombreuses roquettes furent abattues lors de divers tests, il apparut rapidement que le THEL, stationnaire, serait trop encombrant pour servir de système d’armement opérationnel. C’est pourquoi la fabrication d’une version plus compacte et plus mobile baptisée Mobile THEL (MTHEL) fut lancée au début des années 2000. Cependant, à ce moment-là, le haut commandement israélien perdit tout intérêt pour ce programme en raison de la longue accalmie dans les attaques de roquettes qui suivit le retrait de Tsahal du Liban. L’armée américaine perdit elle aussi tout intérêt pour la technologie de lasers chimiques, jugée trop lourde à manipuler. Les budgets alloués à ces projets furent supprimés en 2004, toutes les activités de développement interrompues et le système expérimental THEL mis en sommeil à White Sands, où il est toujours entreposé au moment où ces lignes sont écrites. « David Sling » contre roquettes lourdes iraniennes

Le retrait unilatéral (et, selon certaines opinions, humiliant) du Liban, en 2000, a permis au Hezbollah de s’installer à proximité de la frontière nord d’Israël et a semé les graines de confrontations futures. Pour préparer ces conflits, le Hezbollah s’est lancé dans l’acquisition d’importantes quantités de roquettes auprès de l’Iran, principalement des Grad de 122 millimètres qu’il connaissait bien, toujours surnommées Katioucha mais dotées d’une portée plus grande (20 et 40 kilomètres). Certaines roquettes fournies par l’Iran étaient d’un calibre encore supérieur, d’une portée plus grande et dotées d’ogives plus lourdes. La plus importante était la roquette « Zilzal », d’une portée de 200 kilomètres et dotée d’une ogive d’une demi-tonne, mais le « parti de Dieu » a également reçu un certain nombre de ses « petites soeurs » - la Fajer 5 (d’une portée de 75 kilomètres) et la Fajer 3 (50 kilomètres). Le Hezbollah n’essaya pas de dissimuler son renforcement. Au contraire, il en fit ouvertement étalage. Fin 2005, le leader charismatique du mouvement, Hassan Nasrallah, annonça formellement dans un discours public retransmis à la télévision que son organisation possédait désormais un stock de 12 000 roquettes de tous types et de tous calibres.

Si certains analystes israéliens ont prévu que cette menace croissante exigeait la mise en place d’un système de défense actif, l’aversion habituelle du haut commandement à l’égard de la défense antimissile se manifesta une fois de plus. C’était au moment de l’enlisement du programme THEL, en un temps où un officier supérieur israélien allait jusqu’à déclarer, sous couvert de l’anonymat, que les milliers de roquettes du Hezbollah allaient « rouiller dans leurs entrepôts » ! Il n’empêche : les roquettes lourdes transférées par l’Iran au Hezbollah ne laissaient pas indifférent le haut commandement militaire, où certains comprirent qu’elles représentaient un danger pour les bases aériennes israéliennes situées dans le nord du pays. C’est pourquoi, en 2004, le haut commandement demanda la mise en place d’un nouveau système de défense active. Il était cependant évident que la création de ce système ne semblait pas très urgente aux yeux de ceux qui en passaient commande : au lieu de réclamer que ce système soit destiné exclusivement à abattre les roquettes ennemies, les responsables de Tsahal demandèrent qu’il puisse également abattre les missiles de croisière, une menace de long terme qui ne devait pas se matérialiser de sitôt. Par surcroît, la requête spécifiait que le système devait être opérationnel pour 2011 - c’est-à-dire sept longues années plus tard !

Quand le ministère israélien de la Défense (IMOD) a demandé l’aide financière du gouvernement américain, ce dernier accepta à la condition que le missile intercepteur soit développé en tenant compte de ses propres principaux intérêts de défense. Après un long processus de sélection, l’IMOD accorda le contrat à Rafael Ltd, son principal fabricant de missiles. Le système fut baptisé « Magic Wand » (Baguette magique) et son missile intercepteur reçut le nom de « David Sling ». Rafael opta pour la Raytheon Corporation au moment de se choisir un partenaire pour développer ensemble le missile intercepteur, que les Américains baptisèrent « Stunner ». Le programme fut lancé en mars 2006, trois mois avant le déclenchement de la seconde guerre du Liban, dans laquelle il ne joua aucun rôle.

Le système d’armements David Sling utilise un intercepteur extrêmement agile. Le système a été élaboré de façon à pouvoir fonctionner en réseau avec le plus récent radar tactique israélien. Véritable système en réseau, David Sling pourra opérer seul contre des cibles aériennes et contre des roquettes d’artillerie lourde, ou en tant que partie du système Arrow afin de fournir une ligne de défense à basse altitude contre des missiles balistiques de longue portée. Il est aujourd’hui certain que l’objectif initial - rendre ce système opérationnel dès 2011 - devra être décalé d’au moins un an, jusqu’à 2012. Cependant, une fois opérationnel, David Sling conférera au bouclier antimissile israélien davantage de robustesse et de flexibilité.

Les leçons de la guerre du Liban de 2006

Tandis que le programme David Sling prenait forme, l’accalmie dans le nord d’Israël vola en éclats avec le déclenchement de la seconde guerre du Liban, qui vit près de 4 200 roquettes du Hezbollah s’abattre sur les villes du nord et du centre de l’État hébreu. Les informations rendues publiques montrent clairement que les forces armées israéliennes, quoique peu enclines à investir dans la défense antimissile, avaient néanmoins consenti des investissements significatifs pour élaborer des tactiques et des armements offensifs destinés à détruire les stocks de roquettes entreposés par le Hezbollah ainsi que les lanceurs de roquettes du parti de Dieu. Mais ces mesures ont eu des effets limités. Si la plupart des roquettes les plus lourdes ont été détruites dans leurs dépôts par de simples frappes aériennes, et si l’armée israélienne a réussi à de nombreuses reprises à localiser et à détruire des lanceurs de roquettes isolés, le feu de roquettes du Hezbollah n’a jamais cessé et ne s’est même jamais affaibli tout au long des 33 jours qu’a duré le conflit. Ces roquettes ont tué 55 personnes, fait des milliers de blessés et provoqué d’importants dommages matériels.

La défense antimissile israélienne a joué un rôle passif dans cette campagne, le radar de Green Pine ayant fourni des avertissements qui ont permis de sauver de nombreuses vies. L’intercepteur Arrow, optimisé pour abattre des missiles de plus longue portée, s’est révélé incapable d’abattre les roquettes du Hezbollah (ce pour quoi il n’avait pas été conçu). Quant aux missiles Patriot PAC 2 à la disposition d’Israël, théoriquement capables d’abattre les roquettes à la portée la plus longue, ils n’ont jamais été tirés, pour des raisons qui restent encore à éclaircir.

 

La campagne de tirs de roquettes contre le sud d’Israël

Avec l’échec de la conférence de Camp David à l’été 2000 et le déclenchement de la seconde Intifada, les insurgés palestiniens de Gaza ont éprouvé des difficultés à envoyer sur le territoire israélien des combattants armés ou des auteurs d’attentats-suicides, à cause de la barrière de sécurité déjà existante. Par conséquent, les insurgés de Gaza ont développé sur place des mortiers et des roquettes. Les effets de ces roquettes (appelées « Kassam » par Israël) furent au début peu notables, car celles-ci étaient d’une portée modeste (environ 6 kilomètres) et dotées d’ogives légères. Mais l’amélioration continue de la portée et de la létalité de ces roquettes les a progressivement rendues de plus en plus mortelles. La ville voisine israélienne de Sderot est devenue la cible favorite des artilleurs de Gaza, qui tirèrent sur elle des centaines de roquettes, ce qui provoqua une évacuation massive de la population et des industries locales.

L’accroissement constant de la portée des roquettes fut tel que, en 2004, Ashkelon - un port pétrolier et un centre industriel majeur - se retrouva à portée de tir. L’Iran réussit à acheminer jusqu’à Gaza des roquettes Grad de 122 millimètres et d’une portée de 20 kilomètres, avant d’ajouter leur version améliorée, d’une portée de 40 kilomètres. À la fin de 2008, le nombre de roquettes lancées sur le territoire israélien depuis Gaza dépassa les 4 000. Quand Israël envahit Gaza, fin 2008, afin d’essayer de mettre fin à ces attaques, le Hamas - qui contrôlait désormais ce territoire - lança ses roquettes Grad d’une portée de 40 kilomètres, qui frappèrent profondément les villes du sud d’Israël. Au moment où ces lignes sont écrites, le Hamas se trouve en possession de roquettes d’une portée de plus de 60 kilomètres, probablement une version du Fajer 5 iranien, et peut donc frapper Tel-Aviv.

Comme dans le cas du Hezbollah, l’armée israélienne préféra régler la question des roquettes de Gaza par des moyens exclusivement offensifs - et, comme dans le cas du Hezbollah, l’efficacité ne fut pas au rendez-vous. En dépit de la destruction de nombreux ateliers de fabrication de roquettes, en dépit de l’interception de roquettes acheminées vers des sites de lancement, en dépit de nombreuses frappes sur des roquettes prêtes à être lancées, le rythme des tirs de roquettes continua d’augmenter. Pourtant, une fois de plus, la défiance habituelle du haut commandement israélien à l’égard de la défense antimissile se fit ressentir. Quand les roquettes fabriquées par Gaza firent pour la première fois couler le sang dans la ville de Sderot à l’été 2004, tuant et mutilant plusieurs civils israéliens, le directeur général du ministère de la Défense, lui-même ancien général de l’armée, affirma rapidement qu’Israël n’investirait pas dans un système de défense antiroquettes. Une fois de plus, la volonté politique était indispensable pour sortir de l’impasse.

 

Iron Dome

Le tournant est survenu à la fin de l’année 2006. La faillite de l’offensive lancée lors de la seconde guerre du Liban a incité Amir Peretz, alors ministre de la Défense, à demander la mise en place de mesure défensives destinées à protéger la vie et les biens des habitants des zones situées à portée de tir du Hezbollah. Amir Peretz, lui-même résident de Sderot, rejeta les arguments purement comptables des militaires contre l’instauration d’une défense active et ordonna de réaliser une étude complète sur le meilleur moyen de régler ce problème. Un comité d’experts fut créé. Cette instance réunit des propositions en provenance d’Israël mais, aussi, de pays étrangers. Son objet : la mise en place d’un système de défense active contre des roquettes de faible portée - aussi bien les roquettes fabriquées à Gaza que les Katioucha fournies par l’Iran. Parmi les cinq propositions reçues, le comité finit par sélectionner le système proposé par l’industriel Rafael Advanced Defense Systems, surnommé « Iron Dome » (Dôme de fer) et couplé à un radar qui était une version plus petite du radar multifonctions ELM 2084. Les recommandations du Comité furent rapidement approuvées par le gouvernement et, en février 2007, Rafael obtint un contrat initial pour lancer le programme aussi vite que possible. Quand M. Peretz fut remplacé au poste de ministre de la Défense par le général Barak, ce dernier a rapidement confirmé la décision de son prédécesseur et approuvé le budget alloué au programme. Le haut commandement résista à nouveau - en écho aux « Arrow Wars » du début des années 1990 - et M. Barak mit un certain temps à surmonter la réticence des militaires.

Cette fois, Israël ne demanda pas le soutien américain. Apparemment, le coût relativement modeste du développement de ce programme a permis à Israël de le financer seul. D’après la presse, ce système aurait déjà gagné un appel d’offres à l’exportation et sera bientôt vendu à un client dont le nom n’a pas été révélé. Si ces rumeurs sont exactes, le revenu généré par cette vente pourrait bien financer la production à large échelle d’une quantité nécessairement importante de missiles intercepteurs.

Le « Iron Dome » repose sur un intercepteur extrêmement rapide et agile. Il est destiné à interagir avec les autres systèmes de défense antimissile israéliens, soit en résistant seul à des roquettes de portée très courte, soit en tant que premier niveau de défense contre des roquettes plus lourdes, voire contre des petits missiles balistiques. Ce système a déjà été testé avec succès contre des Katioucha capturées par Tsahal. Il est en train d’être développé dans l’urgence et devrait être opérationnel au milieu ou à la fin de 2010. En guise de conclusion...

On l’aura compris : Israël est en train de bâtir un véritable bouclier antimissile à plusieurs étages destiné à protéger son territoire contre tout type de menace balistique, y compris les missiles de croisière. Hormis le tank Merkava, fabriqué localement, aucun autre programme de défense israélien n’a suscité un effort aussi important que celui consenti ici (à l’exception, peut-être, des principaux programmes d’exportation). Ce programme n’est pas la manifestation d’une prévoyance particulière, pas plus qu’il n’est exécuté dans le cadre d’un grand projet global. Il a été imposé par la force des circonstances. Chaque étape - sauf l’approfondissement du programme Arrow, qui s’est imposé quand s’est étendue l’ombre effrayante d’une nucléarisation de l’Iran - a donné lieu à des querelles acrimonieuses opposant les échelons militaire et civil de l’establishment de défense d’Israël.

La raison du rejet de la défense antimissile par les généraux israéliens est une question fascinante en soi mais qui dépasse le cadre du présent article. Cependant, la question de savoir pourquoi Israël bâtit son bouclier antimissile morceau par morceau, étape par étape, plutôt que de le faire de façon cohérente dans le cadre d’une politique soigneusement appliquée, comme le fait par exemple le Japon de son côté, mérite d’être abordée.

De même que l’Espagne entre 1936 et 1939, Israël est aujourd’hui l’endroit où se focalise une confrontation globale : par le passé, cette confrontation opposait les États-Unis à l’URSS ; à présent, elle met aux prises l’Occident et l’Iran, puissance montante. La guerre civile espagnole a fourni un terrain tragique mais fertile à de nombreuses expérimentations en matière d’armes et de tactiques. Ceux qui ne surent pas en tirer les conclusions - comme la France - payèrent lourdement cette négligence. De la même façon, la guerre d’indépendance d’Israël, qui semble ne jamais devoir s’achever, représente elle aussi un terrain tragique mais fertile pour les expérimentations dans l’art de la guerre. La direction israélienne doit s’adapter à de nouvelles formes de conflit armé, sans pouvoir se référer à un précédent. Le nouvel ascendant de la puissance de feu par les missiles est aussi une conséquence de l’Âge de l’information, qui a réduit le coût de la précision et facilité le transfert massif des technologies et du savoir-faire via Internet. Il est dès lors compréhensible que les autorités d’Israël tâtonnent, cherchant la meilleure voie dans un monde où le sort des batailles sera décidé autant par l’endurance des populations que par le courage des soldats. L’Occident ferait bien d’analyser les enseignements de ce nouveau type de guerre et d’y adapter ses défenses.

La défense antimissile ne peut pas gagner les guerres, mais elle peut éviter la défaite. Quand les « Few » de la Royal Air Force repoussèrent la Luftwaffe à l’été 1940, ils ne gagnèrent pas la Seconde Guerre mondiale pour la Grande-Bretagne, mais ils lui permirent de tenir le choc et de continuer le combat. Il y a là une leçon à tirer. Le premier système intégré de défense antimissile d’Israël pourrait bien jouer pour l’État hébreu, dans l’avenir, le rôle que le premier système intégré de défense anti-aérienne joua pour la Grande-Bretagne il y a soixante-dix ans...

Publié dans Israël

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K
<br /> <br /> Israel a de la chance.Les USas finacent leurs systèmes anti missiles: http://www.voltairenet.org/article164568.html  "« Selon les stimations du renseignement militaire, en 2005, les Iraniens<br /> et peut-être les Irakiens auront des missiles à tête nucléaire dans leur arsenal. Lorsque cela arrivera, l’Arrow sera totalement inutile, parce que ses développeurs ne sont pas prêts à garantir<br /> qu’il pourra intercepter chaque missile tiré sur nous. [….] Son système de défense sera incapable de faire face efficacement à des menaces anticipées, telles que les  trajectoires modifiées,<br /> les leurres, les dispositifs de brouillage radar et les sous-munitions. Ainsi, dans un affrontement entre l’attaquant et le défenseur, l’attaquant devra toujours avoir le bon profil pour être<br /> intercepté Avec un investissement relativement faible, l’attaquant peut développer des moyens qui auront la capacité de faire échec à un système de défense complet. Le défenseur doit investir<br /> d’énormes sommes alors qu’il est douteux que la défense parvienne à des solutions efficaces » 20 ans après le début du programme, on sait que l’Arrow se comporte bien à sa sorti du tube. Beau<br /> progrès après des années de recherche !Côté israélien, le général Ilan Biton, responsable du projet, assure la Knesset que l’Arrow a une « très bonne efficacité » face aux missiles de type Scud-A<br /> et B, mais qu’il doit être amélioré pour contrer les Shahab-3, Scud-C et SS-21, sans compter les dérivés des Nodong. En d’autres termes, le système serait inadapté face au récents missiles des<br /> Etats voyous, il ne peut rien faire contre des têtes multiples et il est ineficace à courte paortée, par exemple si la Syrie place les siens à la frontière. Autre soucis. L’ennemi peut envoyer<br /> plusieurs missiles ou avions, dont un seul serait porteur de charges nucléaires. Comment savoir quel aéronef serait le bon ? Les parlementaires s’estomaquent que le Hetz ne serait utile que<br /> contre des vecteurs vieux de 20 ans ! Penaud, le général rappelle que l’on peut détruire les missiles iraniens au sol avec… un simple avion de chasse "<br /> <br /> <br /> <br />
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