TU T'APPELAIS ANNY… Par Claude Bensoussan pour Guysen Israë

Publié le par Eli d'Ashdod

TU T'APPELAIS ANNY…
Par Claude Bensoussan pour Guysen Israël News Dimanche 11 mai 2003 à 20:34 C'est Chabbat aujourd'hui. Quelqu'un a déposé devant moi, à la Schoule, comme tous les chabbats, le bulletin communautaire hebdomadaire. Je ne l'ai pas tout de suite ouvert.
On ne lit pas " çà " quand on est devant le Roi des Rois des Rois, tu comprends…Mon regard a fui quand même mon Siddour. Je ne pouvais plus te quitter des yeux.
Tu étais là, sur ta carte d'identité, et me fixais. On annonçait une exposition : " Enfants juifs déportés de France "…
Carte d'identité…N°413…Profession : sans. Née le 02 Juin 1933 à Strasbourg, département du Bas-Rhin. Domicile : 21 rue Rode, Bordeaux (Gironde).
Signalement :- Cheveux : blonds
- Yeux : bleus
- Nez : rec (tiligne)
- Forme générale du visage : all (ongé)
- Teint : rosé
- Corp (ulence) : moyenne
Fait à Tours le 4 Décembre 1940.Préfecture d'Indre et Loire.
Et surtout, masquant une ligne et aussi grand que ton visage, le mot " 
JUIVE "…
En diagonale, on a rajouté : " Etranger surveillé "…
Voilà ce que je sais de toi. Et aussi que tu n'avais que 7 ans…Surveillée…
J'ai oublié que c'était Chabbat, j'ai oublié que l'officiant entamait la répétition des dix huit bénédictions, j'ai oublié où j'étais, et j'ai oublié D.ieu…Toi seule existais et tu me regardais. Ta petite bouille blonde me paralysait. Aujourd'hui était mon Yom Hashoa.
Ma vue se voila. Je ne t'apercevais plus qu'à travers une vitre embuée. 
J'ôtais mes lunettes pour les essuyer, mais cela ne changea rien…On ne pleure pas le Chabbat.
D'un revers maladroit de la main, je séchais mes yeux, et tu m'apparaissais à nouveau, plus belle que jamais. J'essayais de t'imaginer, enfant insouciante, courir et sourire, jouer avec ta poupée que tu as peut-être emmené " là-bas "…
" Ils " t'ont volé ton enfance et assassiné l'innocence…Tu aurais pu être ma fille, ma sœur, ma mère. Tu es tout cela à la fois…
J'ai eu envie de te dire…
J'ai eu envie de te dire…
J'ai eu envie de te dire mais ma gorge s'est nouée et mes yeux se sont encore voilés.
Ma fille, ma soeur, ma mère. Tu serais aujourd'hui peut-être une grand-mère heureuse…
J'ai eu envie de te dire que nous avons retrouvé notre terre, après deux mille ans d'errance et de massacres, mais que ce n'est pas de tout repos…
J'ai eu envie de te dire, qu'ensuite, d'autres sont venus, du doux pays de France, le pays de ton enfance martyrisée, et nous ont traités de " 
petit peuple d'élite, sûr de lui et dominateur ", de " parenthèse de l'Histoire ", et de mots que je n'ose même pas prononcé, tant ils sont laids surtout dans la bouche de diplomates…
J'ai eu envie de te dire, que d'autres essaient aujourd'hui de nous anéantir, et que tous les jours, sur NOTRE terre, ce sont les enfants d'Ismaël qui ne veulent pas de nous…Après cinq, six guerres, que sais-je, c'est par miracle que nous sommes encore là. Des animaux suicides se font exploser parmi nous, pour tuer, exterminer ton peuple, avec la même rage que les hordes nazies que tu as connues…
J'ai eu envie de te dire, que 63 ans après, des rescapés de l'Enfer que tu as vécu, ont succombé, le bras encore marqué du tatouage ignoble d'Auschwitz…
J'ai eu envie de te dire, qu'à Paris, Strasbourg, Bordeaux ou Toulouse,
63 ans après, le juif est redevenu une proie…Qu'on bat mes frères, tes frères et sœurs, au cri de " Mort aux juifs ! ", et que les Chemises Brunes sont teintées de vert, de bleu, de rouge et de noir…
J'ai eu envie de te dire, que des synagogues, des cimetières et des monuments en votre mémoire sont saccagés, profanés tous les jours…
J'ai eu envie de te dire, à toi qui n'a eu le temps d'être ni enfant, ni sœur, ni mère ni grand-mère, nous avons peur, de ce sentiment encore peu défini que tes parents ont connu, j'ai peur pour nos enfants, nos sœurs, nos mères et nos grand-mères…
J'ai eu envie de te dire qu'on essaie de nier votre mort. Des thèses révisionnistes assurent que tout a été exagéré, que vous n'étiez pas six millions mais tout au plus quelques dizaines de mille…
J'ai eu envie de te dire, que Papon, le sinistre Papon, celui là même qui est peut-être responsable de ton départ dans ce train de l'horreur, après avoir enfin été jugé, se retrouve libre sous prétexte de grabatisation…Il n'a pas perdu son sourire narquois et coule des jours heureux de nonagénaire, entouré des siens…
J'ai eu envie de te dire, que 63 ans après, voilà qu'on nous accuse d'être des colons, des tortionnaires, des nazis, de faire subir à un peuple, ce qu'on nous a fait subir… Que la victime, pas si victime que çà en somme, est devenue bourreau…
Mais j'ai aussi envie de te dire, peut-être parce que tu me souris, tu souris à la vie, qu'aujourd'hui nous avons un beau pays, entièrement refleuri, celui où coule vraiment le lait et le miel, et que malgré tout, malgré les guerres et les attentats qui ne cessent de nous endeuiller, qui nous privent d'une partie de notre jeunesse, j'ai envie de te dire que plus jamais, plus jamais il n'y aura un juif porteur d'étoile jaune, plus jamais ces trains aux wagons plombés, plus jamais de Papon, Bousquet, Barbie et autre Touvier…Et si nous devons porter une étoile, elle est bleue liserée de blanc et nous la portons, mais cette fois-ci pour notre bonheur et notre honneur….
Et puis, aujourd'hui, nous avons une armée, pas de celles que tu as connues, ramassis de monstres froids…Une armée au sens le plus noble du terme que l'on appelle Tsahal, que le monde entier appelle Tsahal, comme si malgré tout ce que l'on nous reproche, elle est LA référence. 
Nul ne peut le dire mieux que son Chef d'Etat Major. Paroles prononcées le jour même où tout le pays s'arrête de façon saisissante, pour observer deux minutes de silence en votre mémoire :
" Nous puisons notre capacité à nous défendre et à accomplir notre devoir à chaque instant dans " l'esprit de Tsahal " (Rouah Tsahal).
L'esprit de Tsahal c'est l'amour de notre patrie et notre adhésion unanime au respect de l'être humain, de tout être humain.
Notre émotion doit être guidée par les leçons tirées de l'histoire de l'humanité.
La Shoah est notre héritage. Nous la transportons en tout lieu, en période d'accalmie comme de guerre, sur les terrains d'entraînement comme sur les champs de bataille.
Notre nécessité d'être des Hommes nous guide dans les actions que mènent nos soldats et leurs commandants.
Nous nous efforçons au quotidien de rester fidèles à nos valeurs et ce d'une manière qui n'a son équivalence dans aucune armée du monde et nous en payons d'ailleurs le prix conséquent par des pertes humaines nombreuses ".
C'est pourquoi nous ne vous avons, nous ne pouvons pas vous oublier…
Tu vois aujourd'hui, en ce chabbat 8 Iyar 5763, c'est comme si tu étais toujours là.
J'ai tellement senti ta présence que je suis sûr que tu étais là, près de moi, avec tes petites mèches blondes, ton regard bleu, ton petit nez rectiligne et ton teint rosé comme " ils " disaient…Je ne t'ai pas oubliée, nous ne t'avons pas oubliée. J'ai senti que tu étais près de moi lorsque je me suis levé pour embrasser les rouleaux de la Torah.
Mais oui, j'en suis sûr, tu étais près de moi. J'ai senti ta petite main se tendre vers les Rouleaux Sacrés et porter tes doigts à tes lèvres.
Cette présence m'a réconforté dans mes résolutions : notre avenir n'est plus là. La France ne sera plus le " doux pays de mon enfance ".
Je rentre CHEZ MOI, chez nous.
C'était comme une illumination. C'est ton regard qui me l'a imposée. Je n'oublierais jamais que tu as ôté la gangue de sclérose dans laquelle j'étouffais…
J'ai essuyé mes larmes et j'ai souri. J'ai pris ta petite main et l'ai serrée contre mon cœur : merci Anny…
Tu t'appelais Anny Yolande Horowitz.

Publié dans France

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